Les forges de Clabecq

Publié le par anachorete2876


 

 

Canal Bruxelles-Charleroi

Le canal de Charleroi réserve bien des surprises. A lui seul il est une imago mundi, une image du monde, à la manière des paysages du maître de Dinant, Henri Met de Blaes. L’eau unit les bêtes, la végétation, les hommes. Mais aussi le frais et le pourri, la carpe et le piranha, l’usine et les champs de maïs ou de blé.  Tout cela on le rencontre quand on est promeneur, rôdeur, pêcheur, naturaliste, photographe ; en fonction des nos connaissances personnelles, de notre regard, mais aussi de la de la pluie erratique en toute saison et de la brume et de ce qu’elles laissent voir.

Le canal de Charleroi est quelque chose de sérieux. Cette voie d’eau rythmée par les écluses,  était une des colonnes vertébrales de la première économie belge, celle du charbon et du fer, de l’or et de la sueur. Le calcul des ingénieurs, la fumée des fourneaux et les rougeoiements des métaux, d’extraordinaires dépenses d’énergie physiques et mentales, de la souffrance surtout, pour arriver à réduire, transformer le métal qui était le matériau premier du monde en construction. Cette époque primitive a laissé des vestiges dont un des plus éloquents sont les forges de Clabecq, sur le canal de Charleroi.

Clabecq

 Un lieu primitif. Des forges de Vulcain, dont le premier embryon remonte au 18 ème siècle, du temps de Marie-Thérèse ; la Wallonie suivait le destin de cet autre province d’empire qu’était la déjà industrieuse Bohême. C’était la résurrection des Titans taillés dans le fer, par la main de l’homme, des hauts-fourneaux, laminoirs, où dans un enfer productif commençaient à s’affairer un peuple de Lilliputiens. Les forges de Clabecq croisant le canal de Charleroi, un haut lieu de maîtrise des éléments.  Le canal sert à apprivoiser l’eau, les forges l’air et le feu, tandis que du sein de la terre est tiré le métal qu’elle a laissé mûrir. Tout partait de là, l’impulsion originelle bientôt distribuée par les rails et le voies d’eau qui quadrillaient la Belgique. Le site était aussi un nœud de circulation ; trains et péniches emportaient le métal vers le port d’Anvers qui s’était mis à revivre avec l’indépendance de la Belgique. Un lieu névralgique de première économie dont le périmètre est toujours mis en évidence par cette rencontre de la route, du rail, de la voie d’eau. Elles continuent à annoncer, envelopper,souligner, la forge qui apparaît depuis un pont en même temps que l’eau calme du canal qui nous renvoie une image  adoucie de sa forme. Avec Clabecq une bête disparaît. Reste une ombre parfaite qui rejoint le miroir de l’eau pour dire sa disparition.

 

 

 

dramatique

 

 

 

 

Le HF6, est un géant pourrissant mais digne, qui se tient droit, dominant le paysage de ses tubes oxydés qui ont une torsion de couleuvre repue. Il  est admirable malgré le fait qu’il ne reste de lui, de cette aura propre aux créatures industrielles, lesquelles peuvent jeter la panique dans un paysage vert et riant, qu’une ombre.

Le HF6 est encore plein d’une digestion obscure, d’un ressentiment.

 

 

 

 

Clabeq 3

 

 

 

 

Le  sentiment d’admiration que l’on peut avoir devant une usine-il faut  reconnaître qu’il y a une certaine perfection dans cette forme où se manifeste la correspondance absolue entre une construction et une fonction –devrait sans doute aussi se doubler d’un respect pour la société qui y travaillait, pour ce monde qui malgré une hiérarchie poussée à son extrême et surtout bien visible, existait que sur un monde collectif, par un effort fédérateur.

 L’usine était un monstre qui obligeait les hommes à s’unir dans le même effort de contrôle. Ils réveillaient la bête le matin, la nourrissaient jusqu’au soir, redoutaient ses colères, connaissaient chacune de ses mécanismes tout en devant prévoir ses possibles failles ; faisant corps avec elle ils pouvaient tirer de cette lutte quotidienne qui engageaient des générations une fierté légitime. Au soir, seulement, ils retrouvaient la nature et les collines qui entourent la ville de Clabecq. Mais la bête a été terrassée et les ouvriers ont été privés de leur lutte et du salaire qui la récompensait. HF1, 2, 3… Il ne reste qu’un plan, une silhouette, une carcasse, une ombre. L’usine ne produit plus que du silence. Une pensée figée, un ruminement obscur,une médiation parcourent ses articulations rouillées et semblent même tenir les immenses forges en équilibre.

 Et pourtant c’est  de là, de ce lieu matriciel qu’est venu en grande partie notre monde nourri au fer. Colosse immobile figé, Gulliver immobilisé par les nains de la finance, telles sont les forges de Clabecq.

 

 

 

 

Clabecq 2

 

 

 

 

Les forges de Clabecq ont cessé de fonctionner dans les années quatre-vingt dix, après un mouvement de grève d’une rare ampleur. Fermeture des forges qui ont ouvert autre part, en Inde peut-être, Vulcain au chômage, terrassé  par Shiva. Le plastique a pris le dessus sur le fer. Ce monde  englouti appartient désormais  aux « déconstructeurs », démonteurs de machines, nettoyeurs d’infrastructures, à cette armée assez réduite qui s’occupe de la fermeture des hauts lieux de l’éloquence industrielle. Il appartient aux bulldozers  pugnaces de marque Volvo qui, épaulés par un petit bataillon d’ouvriers, produisent d’impressionnants nuages de poussière. Ces nouvelles machines, plus souples et rapides, sont comme des fauves qui s’en donnent à cœur joie, dépeçant avec entrain la carcasse de l’usine.

De cet épilogue il reste quelques traces sur le périmètre autour de l’usine. Une canette de Jupiler , sceau prolétarien écrasé trainant entre les boulons rouillés.

 

 

 

 

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L’ombre de Clabecq bientôt n’empiètera plus sur le paysage, sur la nature qui reprend ses droits. Les oiseaux logent dans les hangars de l’usine, les plantes avancent, poussent au travers des grilles au-delà desquelles  l’honnête citoyen n’ose pas s’aventurer ; de l’autre côté du canal une chèvre broute lune  herbe verte dans un enclos pentu. Il y a partout une poussée de la vie à l’ombre vacillante des forges de Clabecq  qui sont une nouvelle  frontière à conquérir pour le vivant. Un monde post- ferreux émerge lentement, avec sa végétation tumultueuse, ses graffs qui couvrent  le parapet du pont où passent les trains de la SNCB, des eaux à nouveau poissonneuses même s ‘il s’agit de tanches et de silures immangeables, sans oublier quelques piranhas.

Pour l’instant c’est de la broussaille de signes, de la pêche faussement miraculeuse, des plantes étouffantes. Mais un monde éclot tout de même là, se prépare à un nouvel équilibre, autour d’un mythe en déconstruction, du titan qui s’effritera jusqu’à la plus complète disparition.

L’eau calme du canal continue à couler drainant avec elle de nouvelles expectations, laissant espérer de nouvelles alliances, de nouvelles stations, étapes, nœuds, le long du Canal de Charleroi qui unit aussi le passé et le futur dans son flot monotone mais toujours renouvelé

 

 

 

 

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Clabecq 1

 

 

 

 

 

 

 

 

Texte de Nicolas Boldych

 

photos de Sébastien Haro

 

 

 

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