Le lavoir lavé

Publié le par anachorete2876

Le Lavoir lavé

 

 

 

 

 

 

Borinage

 

 

 

Dans le borinage de Binche les collines ne sont pas assez prononcées pour servir de repères, on y sent la terre s'affaisser comme épuisée par des siècles de forages. C’est une terre bosselée, où alternent les grandes artères rectilignes qui traversent de part en part les villes,- Chaussée Brunehaut vers Morlanwez, Avenue Léopold II vers la Louvière-, et les lacis des routes de campagnes, qui quand ils ne servent pas de raccord entre deux lignes droites permettent de divaguer parmi les champs de betteraves et de colza, les mamelons et les terrils. On a là une alternance d’errance américaine et d’ancrage paysan, borin, de cônes artificiels et de mamelons naturels, une lente campagne où Borée continue son travail d'usure et peaufinage des reliefs glaciaires.

 Le vent du nord souffle sur les anciennes plaies des charbonnages, les traces laissées par ces forages qui permirent, depuis le moyen âge, d’extraire le charbon lentement mûri. Comme la pluie et la brume, il apporte une certaine douceur. Analgésique et cautérisant est le vent.

  Le borinage est une terre pleine de trous et de cicatrices, une terre longtemps malmenée mais qui a retrouvé une certaine paix. Absorbée dans une sorte de mûrissement hivernal qui se prolonge, elle attend son nouveau printemps économique et social.

On peut tourner longtemps dans le borinage à la recherche des charbonnages qui ne sont plus, même si leur nom reste accolé à certains bourgs et villages, comme à Péronne Charbonnage.  Dans le borinage la terre s'est cicatrisée, les cônes des  terrils se sont couverts d'une végétation verdoyante qui recouvre ces larges tumulus. Quant aux mamelons ils sont bordés de champs à la terre grasse.

Le borinage a mûri, dans la nuit des temps, son charbon, et continue à mûrir les patates, deux fruits de la terre qui doivent être à un moment lavé de cette même terre.

 

 

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Le Lavoir

 

 

Au milieu des champs et des bois dans les environs de Binche se dresse le Lavoir.

 Nom énigmatique au prime abord.

On le voit de loin, c’est même pour ainsi dire un repère, à mi chemin entre Péronne les Binche et Morlanwez.  On voit les rayons de soleil réfractés par ses verrières, sa blanche façade, récemment ravalée ; il mange la lumière le Lavoir, une lumière qui une fois ingurgitée le rend diaphane, puis il rejette le surplus de rayons par ses carreaux de verre agencés en grilles rigoureuses. La lumière a choisi le Lavoir qui ainsi submergé accomplit une dernière opération mécanique : le brassage et calibrage des  rayons solaires.

 La lumière l’a élu comme repère.

 

 

 

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Pièce maîtresse

 

 

 Apparaissent parfois dans les zones industrielles des lieux magnétiques, des bâtiments qui sont plus qu’une fonction, qu’un mécanisme, des hapax architecturaux qui de part leur  géométrie très expressive, leur silhouette unique, contribuent à provoquer un respect effrayé, à imposer un rythme et un destin à tout un paysage. Et le lavoir en fait partie.

 Dans le lavoir de Binche tout était automatisé : calibrage, triage des morceaux de charbon séparés des scories pierreuses après que le tout fut plongé dans de vastes cuves emplies d’un savant mélange chimique où finissait par surnager les pépites de houille et de lignite. Une extraordinaire accélération du temps, à l’américaine, qui n’a pas empêché qu’un jour le lavoir s’arrête, de manière prématurée. Construit en 1953 il n’aura finalement passé au tamis les pépites du borinage, qui y affleurent si commodément, que pendant 25 ans. Car le Lavoir est débranché en 1967.

 Assez de temps toutefois pour laver des millions de tonnes de houille borine et changer le visage et les habitudes d'un pays.

 

 

 

Les rythmes du béton

 

 

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Pénétrons dans le périmètre du lavoir, après avoir écarté quelques branchages et dépassé une espèce de mare où flottent des bouteilles d’un plastique jauni.

Le lieu est clos, refermé sur lui-même, comme une larve attendant une nouvelle vie. Ces entrées sont barricadées pour raison de travaux, en particulier deux escaliers en colimaçon, bien tentants, de part et d’autre de sa façade. Ce sont eux qui auraient pu nous emmener au coeur du lavoir, dans son espace sans doute sorti de l'imagination d'un ingénieur américain amateur des prisons de Piranèse. Mais le nouveau lavoir qui commence à pointer sous l'ancien n'empêche pas une petite promenade dans le passé, dans des interstices où se déploie encore cette lumière propre aux lieux abandonnés, lumière libre, inattendue, frappante.

Il est planté directement dans la terre le Lavoir ; ces colonnes de béton se poursuivent sous le sol où on devine des galeries encombrées de gravats hétéroclites. Son socle de béton n'a jamais frémi, égal à ce qu'il était en 1953. De ce socle  émerge la colonnade –colonnes aux sections rectangulaires brutes de décoffrage- qui soutiennent l'ensemble de l'édifice, dégageant une impression à la fois de puissance et de précision mathématique. C’est sans doute ici, dans la pénombre des colonnes que l'on sent encore la force de la bête, son restant de vie, son rythme surtout, car dans le Lavoir tout est rythme, reproduction des mêmes modules à l'intérieur d'un cube compact heureusement allégé par la lumière de ses verrières.

 C'est aussi dans ces situations d'abandon que le béton redevient vivant. Surtout quand il est animés par divers reflets, quand il est creusé, ouvert, fendu, et qu’on peut explorer ses chairs à nu en suivant le parcours tout en ricochets des rayons solaires.

Matière morte dans une construction moderne, le béton une fois abandonné reprend vie. 

 

 

Les vestiaires

 

 

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                                                                                                    Au rez-de-chaussée on a encore accès à une enfilade de pièces, d'anciens vestiaires où les ouvriers venaient sans doute se laver après le travail, et peut être aussi se changer quand ils arrivaient sur le lieu. Une pièce de l’aurore blafarde et du crépuscule qui libère.On peut encore voir l’emplacement des douches, ainsi que quelques miroirs brisés. En vis à vis de la route où passent les tracteurs, elle fait figure d’antichambre placée entre la campagne borine et l'intérieur de l'usine, où le temps pendant 25 ans s’est accéléré. La lumière y pénètre par une file ininterrompue de carreaux de verre, qui développent une vue panoramique des champs voisins, sans doute inchangés depuis ces décennies d’optimisme industriel. Une après l'autre les pièces se répètent, se multiplient, égales, selon une ligne, une perspective rigoureuse et claire. Comme partout dans le Lavoir l’espace est scandé par d’élégantes lignes droites adoucies par la lumière naturelle.

 Dans cette espace rationalisé à l'extrême, les architectes on quand même eu le bon goût d'offrir aux ouvriers du lavoir cette vue à 180 degrés de leurs champs. La position des vestiaires au rez-de chaussée devait probablement être renforcée par une impression d'atterrissage, de retour dans le monde terrestre une fois le travail terminé, une fois la machine débranchée par ses maîtres.

De nos jours par contre on se sent un peu comme dans un bunker où on n’aurait plus qu’attendre un ultime assaut venu des champs et des collines, assaut qui ne vient pas. A quelques mètres de là poussent les patates qui ont tout leur temps.

Sortons des vestiaires où il n’y a plus rien à attendre.

 

 

 

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Dehors on est  de nouveau attiré par le blanc d’une façade qui n’a rien perdu de son aplomb. Toutes les traces ont été gommées sous les couches de peinture.

 Le lavoir a été définitivement lavé.

Alors en contemplant une dernière fois ses verrières on est tenté de se dire que malgré sa nature  industrielle il y a quelque chose d’altier et de luxueux dans ce lavoir qui venait défier le temps et les rythmes naturels du borinage.

 

Sur les routes des alentours vont les tracteurs transportant en vrac d’impressionnantes quantités de  binches. Pour l'hiver. Spectacle rassurant. La patate a remplacé le charbon dont la terre a été finalement débarrassée, lavée. Elle reste cette valeur sûre, une pépite comestible, flirtant d’ailleurs avec le minéral, pour ce qui est de sa croissance, sous terre et dans les ténèbres. Comme le charbon la patate une fois arrachée à sa terre, sera aussi triée, calibrée, et lavée, dans d’autres types de lavoirs disséminés de ça de là dans le borinage qui entre dans un hiver fructueux.

 

 

 

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