Ronquières

Publié le par anachorete2876


 

Etrange nom que ce « Ronquières ». Cela m’évoque à la fois un sommeil profond, et le bruit spectaculaire d’un moteur, comme dans l’activité de ronquer (ronfler en argot français). Il y a justement des deux dans Ronquières. Le sommeil, le calme du canal et l’ascenseur au moteur surpuissant, qui dans son gigantisme et son plan incliné fait penser une piste de ski acrobatique. A Ronquières les péniches sont hissées par un moteur sur plusieurs dizaines de mètres avant de continuer leur voyage jusqu’à Charleroi ;  activité spectaculaire qui les tire de l’oubli, du sommeil.

 

 

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  Ronquières c’est le lieu du sommeil des péniches, dont certaines ont atteint là la dernière étape d’un monotone voyage sur les eaux calmes du canal : Charleroi-Bruxelles, Bruxelles-Anvers, et inversement, pendant des années, des décennies et puis Ronquières à mi-chemin entre Bruxelles et Charleroi. Pas facile d’ailleurs de les identifier ces péniches en bout de course. Difficile de distinguer la péniche dormante et celle qui est irrémédiablement abandonnée, passée, provisoirement du moins, de vie à trépas.

 

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Leur peinture est écaillée, leur pont  parsemé d’objets rouillés, sacs, caisses, canettes, parasols, vieilles chaises qui ont essuyé des mois de pluie ; et pourtant un rideau coloré laisse encore penser que de temps en temps une présence humaine vient réveiller leur grosse masse flottante. Une péniche même abandonnée ne coulera jamais, on sent seulement qu’elle se laisse submerger par le temps, qu’elle s’enfonce dans l’oubli, trahi par un maître qui snobe sa demeure de fortune. On sent confusément qu’une péniche est oubliée sans trop savoir si cet oubli est réellement définitif, ou s’il ne s’agit pas seulement d’un caprice, d’une négligence temporaire qui pourra être un jour réparée. Les péniches sont patientes, elles ont le temps ; un nouveau maître peut toujours les  ramener à la vie.

D’autres, bien vivantes, tirent sur leur corde, comme de gros squales désireux de partir sur le canal , vers Charleroi, Bruxelles, Anvers, les villes. Elles sont retenues par ces cordages noueux où s’exercent des pressions gigantesques, attirées par l’ascenseur. Celles-là sont clairement reconnaissables à la tension, se mesurant en tonnes, d’une corde qui exprime leur désir d’être hissées le long du plan incliné.

Les cordes des autres font le bonheur des araignées.

Oui, Ronquières pourrait être l’équivalent d’un  cimetière de baleines s’il n’y avait pas l’ascenseur qui les renvoie travailler de temps en temps, qui les remet en piste, sur des rails.

 

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 Il y a là-bas deux zones distinctes, celles des péniches en piste, voyageuses, encore jeunes et le village flottant, une écluse les sépare. Au-delà de l’écluse, et de l’échelle (qui permettrait de descendre dans le canal, mais à quoi bon ?), dans le bassin d’en haut, des oies nous accueillent ; l’oie est un animal gardien ; on peut en voir des dizaines le long de canal, mais celles-là annoncent véritablement un village, celui des péniches retraitées, pas du tout rouillées ou agonisantes, ni menacées par des voies d’eau, mais au contraire couvertes de verdures et d’agréments tels qu’on n’ose en rêver dans les grises villes. Une maison peut flotter : l’eau est sa fondation, une eau qui fonctionne ici comme un gros coussin amortisseur ; la différence avec les habitations palaffites est mince.  Si elles ont cessé de bouger, de voyager, elles accueillent pourtant à bord des signes d’exotisme qui ne trompent pas : plantes, parasols, chaises longues ; le voyage peut être immobile, mise en scène dans le large espace d’une péniche qui peut partir, mais ne le fait pas. C’est comme une réconciliation entre le désir d’ancrage dans un foyer et celui de s’en aller, de quitter subrepticement ses pénates un jour où le besoin de fuir devient trop oppressant. Pas un foyer mobile, mais un bateau qui oublie de partir. On sent de l’oubli ici. On est encore dans l’oubli, sauf qu’il ne s’agit pas ici de péniches en voie de submersion, comme celles dont les cordages accueillent des toiles d’araignée, mais de bien tentantes péniches auxquelles est offerte une nouvelle jeunesse et qui portent toutes les marques de l’épanouissement estival. Certaines ont même en vis-à-vis un jardin, un bout de terre qui donne l’occasion, de franchir une passerelle, de « débarquer » pour aller arroser quelques salades, poireaux, courges, ou couper son bois pour l’hiver. Ce sont des maisons de relaxation, libérées de la nervosité propre à ces ambiances terrestre, où les vibrations circulent sous la croute terrestre et titillent toute fondation, celles des maisons mais aussi les pieds et les jambes des hommes. Le problème des fondations, qui dans l’idéal devraient être à la fois souple et solides, mais qui dans les faits ne le sont pas, semble ici résolu.

Oui c’est cela le village des péniches, un lieu sans vibrations, à peine celui des moteurs qui de temps en temps « ronquent » en effet pour aller rejoindre l’ascenseur, pour s’élever, passer à un étage supérieur, aller à Charleroi par exemple.

D’une certaine façon la disparition des forges de Clabecq nous annonçaient cette nouvelle étape, cette transformation des péniches actives, transportant le fer aux paisibles péniches palafites du village de Ronquières.

 

 

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